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Raphael Ghazarian |
Lettre ouverte VICTOIRE A LA PYRRHUS Honorable Monsieur Kotcharian, Après les élections de 1998, j'avais un rêve non dissimulé : « que les élections de 2003 (qui sont probablement les dernières dont je serai témoin) se déroulent dans une atmosphère saine et bénéfique pour le prestige international de la République ». Hélas ! Alors que vous aviez les possibilités d'y parvenir. En effet, l' économie délabrée, héritée du prédécesseur, la situation sociale, la question fondamentale de l'Artsakh dans l'impasse, vous procuraient un tremplin unique et intéressant pour gagner la confiance et la sympathie du peuple. Je rappelle que beaucoup, dont votre humble serviteur, ont défendu votre candidature uniquement en réponse à votre proposition quant à l'avenir de l'Artsakh, diamétralement opposée à celle proclamée par le prédécesseur. J'ai été tranquillisé lorsque vous avez défendu l'indépendance de l'Artsakh et soulevé la question du génocide. Mais votre politique intérieure a engendré une déception de plus en plus profonde. Au lieu de juger les coupables, de combattre le business de l'ombre et la corruption, d'améliorer ainsi la situation sociale et le climat moral, vous avez opté pour la variante peu honorable à mon sens qui va de l'autoritarisme au despotisme. Votre gouvernement a été complété par des ministres dont la vraie place est la maison centrale de Sovietachen, et qui ont « assumé » les menaces au cours de ces élections, en appelant à « mettre en pièces, écraser, battre, bourrer, nous sommes les maîtres ». Vous avez réduit à une obéissance docile tout l'appareil judiciaire et la pyramide de l'Etat, du ministre jusqu'au maire de village. Vous avez soumis à des pressions, ou acheté les journaux et programmes de télévision qui étaient plus ou moins opposés ou simplement indépendants, et vous avez enfermé les désobéissants. Vous avez ébranlé les partis d'opposition et l' Assemblée Nationale, en soi déjà instable. Vous avez démoli l'équilibre entre les corps exécutif, législatif et judiciaire, le mécanisme de leurs contrôles. Une atmosphère de plus en plus dense de peur, des conseils en forme de leçons du type « Arakast », qui, excusez, sont propres à des personnes faibles et intérieurement peu sûres d'elles-mêmes. Et tous ces efforts, outrages et tripotages en vue de la reconduction de soi-même. Ne payons-nous pas un prix trop élevé pour cela ? Ne craignez-vous pas que la victoire à tout prix ne devienne une victoire à la Pyrrhus, synonyme de défaite. La plus grande perte, la plus grande défaite, vous les avez essuyées au plan moral. Ce qui a été mis en ouvre ces jours-ci, a surpassé l'ignominie de 1996 qui paraissait indépassable. Votre appareil électoral, au-delà de ce qui est prévu par la loi, a englobé toute la pyramide des agents de l'Etat, de haut en bas, l'armée, la police, le corps enseignant et l'ordre judiciaire, la volée des partis, même des malfaiteurs, et évidemment l' artillerie lourde des oligarches. Il s'est créé une atmosphère de méfiance réciproque et de délation rappelant 1937, et beaucoup, dans cette situation lourde, craignant de perdre leur travail, ont voté, ont falsifié, ont fait des pirouettes, en alignant mentalement des adjectifs malsonnants. Imaginez la situation du directeur d'institut ou d'école, avec la menace que l'on ne vote pas « comme il faut ». Et je ne parle pas du commandant d'unité qui, à la tête de sa colonne, l'accompagne de local de vote en local de vote et ordonne un vote ouvert. Doit-il ensuite prôner amour et dévotion envers une telle patrie. Il ressemble bon gré mal gré à un commandant de comédie, qui après avoir accompagné ses soldats dans une maison de passe, leur prêche l' abstinence sexuelle. Si vous lisiez dans leurs pensées, vous n'auriez pu vous présenter l'air suffisant devant l'écran de télévision et faire des plaisanteries fielleuses sur le deuxième tour, avec des moqueries envers plus de la moitié de la population. Ne parlons pas des pourcentages. Vous connaissez mieux que moi les niveaux atteints par les falsifications des élections ; je ne crois pas que cela soit fait à votre insu, ou même sans votre direction. Vous avez été élu essentiellement après huit heures du soir. Telle est la triste vérité. Je dis cela sans colère, avec une profonde douleur. Je suis d'accord évidemment, qu'en dehors des agents de l'Etat et des obligés de tout poil, vous avez aussi un électorat honnête, qui vous a choisi par conviction. Ceci est leur droit. Mais de ce même droit, vous avez privé la majorité de la population. Conscient de votre fraude, et soupçonneux à l'égard des soldats et des policiers, vous avez pratiqué une faute plus lourde : vous avez invité un régiment d'Artsakh, en ravivant le mal à peine éteint de « Haïasdantsi - Karabakhtsi » qui détruit la nation. Il nous manquait seulement le fratricide. Poursuit-on des objectifs qui vont si loin dans le processus de résolution du noud de l'Artsakh ? J'évite à dessein l'examen des mérites respectifs des candidats. J'admets que dans le groupe de candidats, mis à part Vasken Manoukian, et dans les conditions nouvelles établies depuis 1991, c'est vous qui avez la plus grande expérience de la conduite plus ou moins bonne des affaires, une reconnaissance internationale et des relations importantes. Mais n'avez-vous pas été vous-même novice ? J'ajoute aussi, qu'aucun des leaders de la course électorale (à l'exception d'Aram Sarkissian qui a noblement retiré sa candidature au nom du rassemblement), aucun, je répète, ne s'est exprimé clairement sur sa position quant à la question de l'Artsakh ; et ce qui a été dit en passant, il valait mieux qu'il ne le fût pas. La particularité de la situation créée dans la République réside néanmoins dans le sentiment profond de la population : minée par le combat permanent de sa survie, et humiliée régulièrement depuis 1991 par des élections faussées, elle a besoin de croire qu'elle a affaire à des hommes d'Etat et non à des brutes, et qu'elle peut au moins une fois tous les cinq ans, émettre sa volonté. Ceci est plus important en soi qu'une élection même ratée, car sa preuve reste à faire. Vous avez à plusieurs reprises blessé l' honneur du plus grand nombre et provoqué ainsi de nouveaux périls. En effet, évaluons attentivement votre électorat. Outre la fraction estimable qui est en accord avec vous, vous avez été élu par action volontariste du personnel au complet de la pyramide d'Etat, les oligarches et les couches élevées des nombreux partis avides de pouvoir, faisant de vous à jamais leur débiteur, et pour ce qui est des oligarches, leur otage. Les membres par milliers de deux mille commissions, des obligés d'un autre genre et une partie importante de ceux qui imposent contre leur gré, tous ceux-là ont bien voté en votre faveur mais ne forment pas votre électorat. Je crois qu'ils sont davantage montés contre vous que ceux qui ont voté contre vous. En effet, vous les avez forcés à agir contre leur conscience, vous avez troublé leur monde intérieur, et ils ne vous le pardonneront pas. Il s'ensuit que la majorité de la population est disposée négativement à votre égard et pour juguler l'insatisfaction, vous serez obligé d'avoir recours à des violences. Ce n'est pas une situation enviable. Mais il s'agit de problèmes internes. Plus périlleuse est la chute inévitable d'autorité du pays auprès de la communauté internationale (occidentale). L'ouest ne tolère pas que l'on trouble les sacro-saintes élections. Un grand danger plane sur la tête d'Artsakh. Paradoxe. C'était votre atout en 1998, aujourd'hui le point le plus vulnérable. Peut-être en ayant conscience de cela, vous vous élèverez au-dessus des sentiments narcissiques (les intérêts d'u
n individu et d'une nation ne sont pas comparables) et penserez à une démarche raisonnable pour sortir de la crise. Croyez-moi, j'aurais voulu féliciter le président vainqueur d'un combat honnête. Vous m'avez privé de ce plaisir. Deux mots sur le positionnement des partis. Je ne parle pas de l'espèce « orinatz yerkir ». L'attitude de principe de leur direction envers les présidents est exclusivement - admiration. Ce qui est attristant, c'est l' attitude des traditionnels. Bien sûr, il est possible d'en trouver le fondement dans la concordance entre leurs positions idéologiques et celles du président, bien que ce dernier n'ait pas clarifié devant son parti les positions de la population. Mais lorsqu'avec une innocence virginale, ils s' étonnent : « Quelle importance ? Les deux côtés ont triché » (comme s'ils ignoraient que les moyens administratifs de fraude de part et d'autre sont hors de proportion entre eux), je regrette amèrement les nerfs et les efforts épuisés à les défendre devant les pressions de Levon. Je me sens blessé à la place du « parent » centenaire.
Votre R.A. Ghazarian
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