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MICHEL SCHIFRES Publié le 13.12.2002 --------------------------------------------------------- Le Figaro
Ce pourrait être un incident médiocre et une banale affaire d'influence. Sauf que le plaideur s'appelle George W. Bush, qu'il téléphone à un chef d'État - Jacques Chirac - et intervient dans une affaire dont il ne peut être maître - l'éventuelle entrée de la Turquie dans la Communauté européenne décidée par les seuls Européens. Encore Chirac n'est-il pas le seul à avoir bénéficié de l'appel américain: Bush, transformé en standard téléphonique, a contacté, à plusieurs reprises, les principaux dirigeants en Europe. De ces faits, la pression devient ingérence ou interférence si on veut se montrer plus diplomatique. Quelle que soit la façon dont on la nomme, elle est tout bonnement insupportable. Ces temps-ci, l'Amérique ne met même plus les formes, ni pour révéler ses désirs ni pour tenter d'imposer sa volonté. Au point que le simplisme et la brutalité de son président découragent ses partenaires les plus proches. L'intégration d'Ankara est pour Washington une affaire d'une grande importance. Les États-Unis entendent récompenser de cette manière un allié fidèle. Forteresse solide face au chaos du Proche-Orient, puissance militaire, soutien d'Israël - du moins jusqu'à maintenant -, voisine de l'Irak et de l'Iran, la Turquie est une pièce essentielle du dispositif américain. Elle leur a toujours été un ami précieux aussi bien hier, lorsqu'il fallait contrer le communisme, qu'aujourd'hui, quand il s'agit de démêler la crise proche-orientale. Et elle le sera demain si les Américains, entrés en guerre contre l'Irak, utilisent les bases militaires turques.Le souci turc et le calendrier n'expliquent pas à eux seuls l'arrogance américaine. Le temps est loin où les conseillers de Bush lui suggéraient de se présenter en «géant humble» et où le président américain, pour sa première tournée en Europe, expliquait qu'il était surtout venu pour écouter. C'était aux premiers mois de son mandat. Depuis, le 11 septembre et la guerre contre le terrorisme international ont à ce point rigidifié l'attitude des Américains qu'ils en oublient les usages et l'aide que l'Europe, notamment la France, leur a apportée dans leur conflit avec Saddam Hussein. On n'ose imaginer la réaction de Washington si un responsable européen téléphonait à Bush pour lui demander d'ouvrir ses frontières avec le Mexique, voire de restituer les territoires, de la Californie au Texas, autrefois mexicains!Comme d'ordinaire, les Européens les plus sceptiques jugeront que l'Europe est fautive si - et puisque - on se permet de la traiter ainsi. Voilà bien, penseront-ils, une preuve supplémentaire de son inexistence politique et la conséquence de ses divisions. Même si le procès était fondé, ce ne serait pas une raison pour accepter la suffisance américaine. Etre amputé d'un bras ne justifie pas qu'on sacrifie l'autre.
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